Le Journal de Pierre Wittmann

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Extraits du Journal 2

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Udaïpur, Inde, janvier 1988

Varanasi, Inde, janvier 1988

Tahiti, avril 1988

Ces textes sont des extraits du Jardin de la libération (Journal 1988)

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Udaïpur, Inde, janvier 1988

Passé une nouvelle journée à contempler l'impermanence de mes états d'âmes, passant de la colère ou de la déception au ravissement ou à la béatitude, avec, bien sûr, toute une gamme de stades intermédiaires plus ou moins douloureux. Parti à 10h15 pour visiter d'abord deux jardins plutôt décevants, tous deux poussiéreux et mal soignés. Le premier devait son charme à ses jets d'eau et ses bassins, mais les premiers ne fonctionnaient pas et les seconds étaient soit à sec soit à moitié remplis d'une eau saumâtre où j'imaginais mal les femmes du harem en train de batifoler.

Visité ensuite l'immense palais qui domine le lac, ancienne résidence des maharana. On en visite la première partie par un circuit fléché qui parcourt tout un labyrinthe de couloirs, d'escaliers, de cours, de salons, de loggias, décorés avec beaucoup de mauvais goût. L'autre partie, le palais des femmes, beaucoup plus sobre, contient une immense et superbe collection de miniatures et de peintures. Certaines sont de très grand format avec des centaines de personnages, et d'autres illustrent de scènes de chasse au tigre, qui semble avoir été une des principales distractions des maharana. Un petit musée, dans une autre aile du palais, contient aussi de belles peintures, notamment de grands portraits en pied des seigneurs locaux.

Les yeux bien imprégnés de ces belles peintures, mon chauffeur m'a ensuite emmené faire un tour des marchands de tableaux. Vu beaucoup d'horreurs, mais un des magasins avait une belle série de miniatures de personnages à des prix tout à fait corrects. Contrairement aux recommandations de mon chauffeur, j'avais décidé d'aller déjeuner au Lake Palace, pour connaître enfin l'un de ces merveilleux hôtels indiens — dont certains disent qu'ils sont les meilleurs du monde — dans lesquels mon chauffeur refuse systématiquement de me loger.

J'ai appris à mes dépends qu'il n'avait pas tort, mais je suis au moins débarrassé de la frustration qui me tourmentait depuis quelques jours. Le Lake Palace est un petit palais situé sur un îlot au milieu du lac où l'on accède par bateau. Le cadre et la vue sont superbes, et la décoration est celle d'un palais de maharana, par contre il n'est pas mieux tenu et le service n'y est pas plus attentionné que dans les autres hôtels indiens. La salle à manger est une grande cantine pour touristes en groupe, avec un buffet très quelconque et peu digne d'un hôtel de cette classe. Ce fut le repas le plus mauvais et le plus cher depuis que je suis en Inde. J'ai fui en vitesse ce piège à touristes, et ai décidé de suivre dorénavant les conseils de mon chauffeur si bien intentionné.

Fait encore quelques galeries et bazars sordides, puis ai demandé à retourner dans la vieille ville, près du palais, pour me balader dans des ruelles qui m'avaient semblé très pittoresques en y passant le matin en voiture. En fait, c'est un quartier très touristique, rempli de magasins de souvenir, de galeries et de sa foule de marchands, d'arnaqueurs et de mendiants professionnels.

Mais quelques centaines de mètres plus loin, ça change complètement : des ruelles en pentes, des maisons peintes à la chaux, souvent de grandes peintures naïves sur les façades — éléphants, tigres, personnages —, des petits temples crasseux, des boutiques et des marchés, des enfants qui jouent et vous saluent en criant sans vous demander d'argent, et, bien sûr, les imperturbables vaches sacrées. Ai traversé la rivière qui joint les deux lacs et me suis promené dans le quartier situé en face du palais, où de nombreux temples alternent, sur le bord du lac, avec de petits palais.

À l'extrémité de la presqu'île qui fait face au Lake Palace, je me suis assis sur un ghat. Au-dessous de moi, trois vieux Indiens faisaient leurs ablutions et un peu plus loin un groupe de femmes faisaient la lessive. En face de moi à gauche, de l'autre côté du lac, la ville, blanche avec quelques taches de rouge et de bleu, s'étale à flanc de colline au-dessus des ghat avec, à sa droite, la masse immense du palais, d'un ocre très pale, violemment éclairée par la chaude lumière du soleil de cette fin d'après-midi. Sur ma droite, le Lake Palace et plus loin le Jag Mandir, puis, en arrière plan, les collines roses dont le sommet et les crêtes sont coiffés d'un grand fort et d'une longue muraille crénelée.

Je suis resté assis là une bonne demi-heure à contempler ce décor irréel, d'un autre temps et d'un autre monde, dans le silence et la solitude. Tout à coup, la foule indienne bruyante, turbulente et omniprésente avait complètement disparu. Après ce moment inattendu de béatitude, j'ai traversé le lac à gué, me frayant un passage parmi les tas d'immondices, pour rejoindre les ghat de l'autre rive et retourner à la voiture par les ruelles escarpées qui gravissent la colline.

Sur la route de retour, je voyais sur la droite la colline avec la muraille et le fort et demandai au chauffeur d'aller de ce côté, car je sentais que ce serait un endroit idéal pour voir le coucher du soleil. Il était déjà un peu tard pour monter jusqu'au fort avant que le soleil ne se couche, alors je me suis arrêté à mi-chemin et me suis assis sur une pierre, au milieu des buissons d'épines, pour admirer un coucher de soleil du désert, un ciel bleu et pur, des chaînes de montagnes à perte de vue, le lac, clair comme un miroir, avec ses deux îles et, à droite, la ville et la masse énorme du palais sur lesquelles jouaient les derniers rayons du soleil.

De loin et de haut, tout était beau, net, pur, propre, on ne voyait pas que l'eau du lac était recouverte d'une mousse verdâtre et que les barques qui le sillonnaient étaient chargées de groupes de touristes, que le palais n'était plus qu'un musée et, que la mosaïque étincelante des maisons de la ville était construite sur la bouse et les immondices. Redescendu tranquillement dans le calme du soir, fait un dernier arrêt pour boire un jus de pomme sur une petite terrasse en contemplant les dernières lueurs rougeâtres du crépuscule.

  

Varanasi, Inde, janvier 1988 

J'ai marché jusqu'au Gange, me frayant un passage dans les embouteillages de piétons, vélos, rickshaws et vaches, et suis arrivé sur les ghat à midi. Comme ils sont exposés en plein soleil, j'ai enfin pu me réchauffer. Vraiment un spectacle de toute beauté, un des lieux les plus fascinants que j'aie jamais vu, et beaucoup plus calme que les ruelles commerçantes qui y mènent.

Il y règne cependant toute une vie : les gens qui font leurs ablutions, ceux qui font la lessive qui est ensuite mise à sécher sur les marches, ceux qui se promènent, préparent leur repas sur de petits feux de bois, méditent en face du Gange, des barques qui promènent lentement des groupes de fidèles, les vaches qui, elles aussi, font leur méditation étendues au soleil, et, bien sûr, les mendiants, les rabatteurs, les marchands de soierie, les bateliers qui cherchent des clients et de nombreux sadhu, dont certains sont tout nus et couverts de cendre. 


* * *

Marché sur les ghat chauffés à blanc par le soleil de midi, armé de toute ma patience, ma tolérance et ma compassion pour affronter les rabatteurs des marchands de soieries. J'en ai rencontré deux, avec qui j'ai été très aimable et dont j'ai pu me défaire sans trop de peine. Je suis remonté dans les ruelles pour trouver un peu d'ombre, après avoir regardé longuement les crémations pour bien me pénétrer de l'impermanence de notre corps. Le corps est bien petit une fois mort et empaqueté, et l'odeur des crémations ressemble à celle d'un barbecue. Quand on ramasse les cendres, il reste parfois un pied noirci qui n'a pas brûlé.

Me suis assis sur une place où il avait un petit marché, sur le banc d'un marchand de thé. Je suis resté là un long moment à regarder la vie des petits métiers et du petit peuple, tous ces gens qui ne vivent que de quelques roupies par jour. C'est ce que m'expliquait mon marchand de bétel et de cigarettes à la pièce d'hier, qui passe quinze heures par jour dans sa petite cahute pour gagner de quoi nourrir sa femme et ses cinq enfants. Devant moi, une marchande de légumes pleine de caractère défendait avec acharnement son petit tas de navets contre les vaches. Elle arriva finalement à en vendre la moitié à un monsieur et essaya de lui refiler les cinq qui restaient au lieu de lui rendre une roupie, mais il refusa. Une vache brouta subrepticement un des navets qui restaient, alors elle prit ses quatre navets à la main, mis son grand panier sur sa tête et partit, laissant aux vaches un tas de feuilles de navets et de choux.


* * *

Je suis allé m'asseoir sur les ghat pour me remettre de mes émotions et suis resté une bonne heure à regarder la vie de cette fin d'après-midi : les enfants qui jouent au cerf-volant, les gens qui discutent, boivent du thé ou laissent simplement passer le temps, à regarder la rivière et à méditer. L'eau est très basse à cette saison et la rivière peu large. En face, une grande étendue de sable où beaucoup de monde se promène.

Revenu à pied jusqu'aux ghat des crémations. Au passage, vu l'immersion d'un petit bébé, enroulé dans un linge blanc et attaché solidement avec une corde à une pierre aussi grosse que lui. Un homme a pris cet étrange paquet sur une barque et s'est fait amener à quelques dizaines de mètres du rivage où il a tout simplement déposé son paquet à la surface de l'eau. Le batelier l'a aussitôt ramené sur le rivage, mais ils n'ont pas eu l'air bien d'accord sur le prix de la course et j'ai l'impression que le batelier lui a demandé dix roupies pour ses dix coups de rame. Il n'y a pas que les touristes qui se font arnaquer à Bénarès. Les croque-morts, les marchands de bois et de feu ont aussi l'air de fieffés coquins.

En arrivant près des ghat des crémations, je fus harponné par les derniers rabatteurs de la journée, collants comme des sangsues, que je suis arrivé à semer juste avant de perdre mon sang-froid. J'ai marché encore une demi-heure dans les ruelles presque désertes pour retrouver mon calme avant de prendre un rickshaw qui m'a emmené pour 5 roupies.


* * *

Meilleure journée aujourd'hui. Parti à 5h30 pour la rivière, dans le froid, la nuit et les rues désertes. Un peu plus d'animation au bord du Gange. Des haut-parleurs diffusaient déjà les lancinantes lamentations des puja et les premiers fidèles faisaient leurs ablutions alors que les lueurs de l'aube apparaissaient de l‘autre côté du Gange. Ai pris deux verres de thé bien chauds, au lait cette fois, car j'ai renoncé à le demander sans lait, c'est trop long et trop compliqué. Ai marché dans le froid, observant les changements de couleurs des reflets sur l'eau, encore calme comme un miroir, alors que les premières barques chargées de touristes avancent lentement le long de la rive.

Une atmosphère tout à fait magique et irréelle à cette heure matinale. Le moment le plus froid est juste avant le lever du soleil, alors que se lève une petite brise. L'eau du Gange, à cette heure, est nettement plus chaude que l'air mais, en sortant dans un sari mouillé, on doit drôlement grelotter. À 7h moins le quart le soleil est apparu, et a peu à peu commencé à éclairer de ses rayons dorés les façades baroques de Bénarès. J'ai pris un autre verre de thé avec quatre biscuits au curry dans une autre échoppe, puis suis allé m'asseoir sur une marche, à l'abri d'un porche, pour me réchauffer aux premiers rayons du soleil et observer les saintes activités que l'on pratique en ce lieu.

À 7h, ai pris une petite barque pour une balade d'une heure le long des berges. La lumière est superbe, les façades éclairées de face, sans aucune ombre, ont tout à fait l'air d'un décor de théâtre dont les acteurs sont les fidèles qui font leurs ablutions. Ils s'immergent plusieurs fois dans l'eau, en boivent un peu, se lavent, se savonnent et, au besoin, font même une petite lessive. D'autres méditent assis, face au Gange et au soleil, d'autres font des asana de yoga.

Un peu plus loin les lavandiers frappent leur linge sur des pierres plates disposées au bord de l'eau ou le martèlent avec de gros bambous en l'aspergeant d'eau. Ensuite toutes ces lessives sont étendues sur les grands talus de pierres qui dominent les ghat. Ce spectacle est tellement étonnant et sublime que j'en oublie le froid.

À 8h, je suis monté dans le petit marché qui commençait à se réveiller avec les premiers rayons du soleil, ai mangé deux oranges et deux beignets aux légumes, pimentés et brûlants, ai traversé le marché aux poissons, pas très appétissant, et suis redescendu sur les ghat pour aller voir une jolie pension qui a un nom japonais écrit en gros idéogrammes sur sa façade rose.


* * *

Je suis reparti sur les ghat et ai passé deux heures assis sur une marche à méditer et à contempler le spectacle dont je ne me lasse pas. J'ai mis en pratique la technique que j'avais apprise le matin pour éloigner les indésirables et, en effet, elle est infaillible. Je fixais un point sur l'autre rive, sans bouger, la plupart repartaient après quelques secondes. Les plus acharnés sont encore les enfants. L'un d'eux, après avoir beaucoup insisté, je ne sais pas pourquoi d'ailleurs, peut-être simplement pour me dire gentiment bonjour, est parti en me traitant de singe. Il faut dire que cette méthode, si elle est efficace, n'est par contre pas une bonne manière de pratiquer l'amour et la compassion du bodhisattva. Enfin, les préceptes bouddhistes disent aussi de ne pas fréquenter les mauvaises personnes, mais il est souvent difficile de reconnaître les bons des mauvais dans cette foule interlope.

En tous cas, en regardant depuis la marche où j'étais assis, et en essayant de rester bien en dehors de ce monde pour pouvoir mieux l'observer, je voyais ces rabatteurs et ces mendiants s'attaquer à d'autres touristes et se comporter tout à fait comme des chiens affamés. Mais, quand ils s'attaquent à moi, je ne m'en rends pas toujours compte. On voit toujours mieux comment résoudre les problèmes quand ils se posent aux autres qu'à soi-même. J'expliquais à Yuka, à midi, comment résoudre tous ces petits problèmes matériels indiens qui m'avaient donné tant de mal ces derniers temps, et qui, maintenant, ne semblaient plus me causer aucune difficulté.

Je me rends compte que quand je ferme mes sens aux importuns qui viennent m'aborder, comme cet après-midi, je me mets en fait dans une sorte d'état de méditation où je vois tout, je perçois tout, mais rien ne m'affecte et ne pénètre en moi. Il faudrait que je fasse la même chose avec les pensées discursives qui viennent importuner, arnaquer, bousculer mon esprit, comme les hommes et les animaux de cette ville importunent, arnaquent, bousculent mon corps, que je les ignore de la même manière pour qu'elles passent leur chemin sans s'arrêter.

Dès que je m'identifie à la perception, que j'y réponds, que je me prends au jeu de cet intrus, c'est foutu, je perds pied et me laisse entraîner dans le torrent de maya. De même que je vois du coin de l'œil les hommes qui se dirigent vers moi, il faudrait que j'arrive à voir venir les pensées qui vont surgir dans mon esprit et renforcer ma concentration pour ne pas me pas me laisser séduire par leur chant. Pas facile, mais j'y suis arrivé plusieurs fois, il y a quelques mois, il faut que je reprenne cette pratique qui demande une très grande vigilance.

 

Tahiti, avril 1988 

Depuis quelques temps, des semaines entières passent sans que je n'écrive. Ce n'est pas qu'il ne se passe rien, mais peut-être rien de bien excitant. Et dans ces semaines qui précédent mon prochain départ, je manque de cœur à l'ouvrage.

Enfin, ce week-end j'ai fait quelque chose de beau et de positif, l'ascension de l'Aorai avec Henri et une dizaine de ses élèves de l'école hôtelière. Ce matin, je suis complètement courbatu et ai mal partout. Mais au moins je sens quelque chose, je peux observer mes sensations, mon corps, comme dirait Madame P, et je vois que mon vieux corps maigre de presque 45 ans, résiste encore bien à l'effort et aux souffrances.

J'étais un peu inquiet avant cette ascension. Est-ce que j'allais supporter le soleil ? Est-ce que je pourrais porter mon sac ? Mais ni l'un ni l'autre ne m'ont posé de problèmes. Par contre j'ai les jambes qui ont faibli dans la seconde moitié de la descente, mais cela, c'est le manque d'entraînement.

Nous sommes partis samedi à 9h du Belvédère. Je me suis vite retrouvé seul en tête et ai fait toute la montée en solitaire, ce qui était bien agréable. J'ai été rejoint pendant un petit moment par Adam, l'Anglais qui vit chez Henri, alors que je m'étais arrêté pour pique-niquer. Je suis arrivé au refuge, à 1 800 mètres d'altitude, à 15h15, après 4 heures 45 de marche effective. Le chemin n'est pas facile, il est surtout très raide, avec de nombreux passages de varappe entre les rochers et les arbustes où les bras travaillent autant que les jambes. Il faut souvent se frayer un passage à travers les buissons et les ronces et j'étais content d'avoir un pantalon et une chemise à manches longues qui sont d'ailleurs tous les deux à jeter, déchirés et couverts de boue.

Le chemin, s'il est bien tracé, est le plus souvent une succession de marches, qui montent ou qui descendent, de 50 cm à un mètre de haut, de branches qu'il faut escalader ou sous lesquelles il faut ramper, et ressemble plus à un parcours du combattant qu'à un chemin. Sur une grande partie du trajet le chemin longe une crête en lame de couteau avec de chaque côté des précipices de 500 à 1 000 mètres de profondeur. Mais comme il y avait toujours un peu de végétation qui me caressait les mollets, ce n'était pas trop effrayant.

Le passage le plus vertigineux, le rocher du diable, est équipé de câbles. Enfin, pas de difficultés majeures si ce n'est l'endurance ! À partir de 11h du matin, des nuages sont arrivés, qui ont bien atténué la chaleur du soleil, mais le plus souvent ils masquaient aussi la vue.

Adam est arrivé environ 1 heure et demie après moi et nous avons attendu les autres jusqu'à la nuit. Nous avons coupé du bois pour faire un feu et avons admiré le coucher de soleil et la vue alors que les nuages se dissipaient avec l'arrivée du soir. Un vent frais s'est alors levé et nous étions très contents d'avoir pris pull, anorak et sac de couchage.

Trois des élèves sont arrivés vers 18h30, juste avant la nuit, quatre autres vers 20h. Je ne sais d'ailleurs pas comment ils sont arrivés à monter de nuit sans lampe sur ce chemin escarpé et acrobatique. Et Henri est arrivé vers 21h avec deux filles qui n'avaient vraiment pas d'entraînement pour ce genre d'excursion. Un quart d'heure après le départ elles avaient déjà refusé de porter leur sac. Une des deux s'est d'ailleurs arrêtée 100 mètres avant le refuge et ne voulait plus avancer. Nous avons eu toutes les peines de monde à la faire arriver en haut.

C'est étrange d'observer l'inconscience avec laquelle Henri a organisé cette excursion difficile et dangereuse pour des personnes qui n'ont jamais fait de montagne. Prendre une telle responsabilité serait tout à fait inconcevable en Occident. Mais les Tahitiens vivent vraiment dans le moment présent et, une fois arrivés en haut, ceux qui avaient souffert pendant 12 heures riaient avec les autres et tout semblait déjà oublié. La plupart avaient déjà bu toute leur provision d'eau sans se soucier du lendemain. Prévenir, penser à l'avenir, au danger n'est pas du tout dans leurs préoccupations. Nous avons dormi dans un petit refuge construit en tôles pour nous abriter du vent et j'ai eu beaucoup de plaisir à dormir par terre, ce qui me rapprochait déjà un peu de Suan Mokkh.

Levé avec les premières lueurs de l'aube. Le temps était bien dégagé avec cependant des petits nuages sur l'horizon. Je suis parti vers 6h avec Adam pour le sommet que nous avons atteint en 45 minutes en suivant les crêtes. Il y avait une vue superbe sur Papeete, Moorea, les vallées et les autres sommets de l'île, dont la masse imposante de l'Orohena qui domine l'Aorai de près de 200 mètres. Sommes restés une bonne heure au sommet avant de prendre le chemin du retour.

Sommes repartis tous les deux à 9h du refuge. J'ai trouvé la descente nettement plus dure que la montée, surtout pour les jambes, et les deux dernières heures me furent vraiment très pénibles. J'ai perdu le rythme et ne suis arrivé qu'à 14h, une heure après Adam qui, lui, a bien tenu l'horaire que j'avais prévu. Toute la première partie que nous avions faite la veille dans les nuages, notamment les crêtes escarpées, était superbe avec le ciel dégagé et les vallées profondes, de part et d'autre, au fond desquelles rugissent des torrents.

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